Chapitre 22

 

 

Doyle emprunta une dague non magique à Sholto, qui avait des armes planquées dans tous les coins du bureau. Je me demandai si sa chambre recélait un tel arsenal et me figurai que c’était bien probable. Cela révélait une absence d’arrogance et une prudence que je trouvai louable chez un guerrier Sidhe, et outrageusement séduisantes chez un Roi. Nous allions essayer cette nuit de survivre et de nous enfuir, et s’équiper d’armes qui n’étaient pas des reliques majeures de pouvoir semblait une idée particulièrement géniale.

Doyle fit usage de la dague pour appeler Rhys. La plupart des membres de la Féerie utilisaient des miroirs comme moyen de communication, mais certaines des premières magies réflectives s’étaient manifestées par l’intermédiaire de l’une des quelques surfaces réfléchissantes que tous portaient sur eux. Et même ceux qui n’étaient pas guerriers étaient équipés d’une lame servant à couper les aliments ou à d’autres choses. Un couteau avait de nombreuses fonctions autres que tuer. Tout ce qui était nécessaire ensuite était une touche de fluide corporel pour badigeonner la lame. Pour quelque raison que ce soit, les miroirs ne requéraient pas cette touche personnelle, c’était probablement la raison pour laquelle cette option était la plus populaire.

Doyle s’entailla le doigt légèrement pour mettre son sang sur le plat de la lame. Il s’en approcha ensuite pour appeler Rhys.

J’étais assise dans le gigantesque fauteuil du bureau de Sholto, les jambes repliées sous moi. La couronne vivante avait disparu Dieu sait où. Sholto était également tête nue, une fois encore. Apparemment, le pouvoir s’était clairement exprimé.

Était-ce le fait qu’une magie aussi phénoménale se soit ainsi dissipée ou parce que les événements semblaient finalement avoir eu raison de moi, mais je caillais. Une sensation ayant fort peu de rapport avec la température ambiante du monticule de la Féerie. Certains types de froid n’ont rien à voir avec une réaction épidermique et des couvertures, mais se ressentent plutôt au plus profond du cœur et de l’âme.

L’épée Aben-dul était posée sur le grand bureau vide de Sholto, les images apparues sur la poignée toujours visibles, figées dans le matériau, quel qu’il soit, qui la constituait et donnait vaguement la sensation au toucher d’être de l’os. Une femme au corps dénudé était figée en une attitude de souffrance et d’horreur, le visage fondu à la jambe de l’homme qui se tenait au-dessus d’elle.

La Main de Chair était l’une des plus terribles facultés magiques que possédaient les Sidhes. Je n’y avais eu recours qu’en deux occasions, et chacune me hantait depuis. Si j’en avais fait usage contre des humains, cela aurait sans doute été moins effroyable, car ils n’auraient pas survécu ainsi retournés. Les Sidhes, eux, n’en mouraient pas. On devait trouver un autre moyen de les achever pendant qu’ils hurlaient, les tripes scintillantes à la lumière, le cœur battant en plein air, toujours relié aux veines et à d’autres bouts de… trucs et de machins.

La dernière personne à détenir la Main de Chair avait été mon père. Mais cette épée sur le bureau ne lui était pas réapparue. Elle s’était présentée à moi. Pourquoi ?

Mistral s’immisça entre moi et le meuble et, posant ses mains sur les accoudoirs, repoussa le siège, qui recula tout en douceur. Je levai les yeux vers lui, penché au-dessus de moi.

— Princesse Meredith, ton regard est hanté !

J’ouvris la bouche, puis la refermai avant de dire finalement :

— J’ai froid.

Il me sourit et tourna ses yeux empreints de gravité vers Sholto.

— La Princesse a froid.

Sholto se contenta d’opiner du chef et d’ouvrir la porte pour s’adresser aux gardes en faction dans le couloir. Il était Roi et avait simplement présumé qu’ils seraient à leur poste, et que l’un d’eux ne serait que trop heureux d’aller quérir un domestique, qui s’empresserait à son tour d’aller chercher une couverture ou un manteau. L’arrogance propre à la noblesse. Je n’avais jamais eu beaucoup de serviteurs à mes petits soins pour en prendre l’habitude. Il était possible que mon père, un homme prévoyant, l’ait fait exprès. Il avait compris que, sans cette arrogance, je me montrerais plus impartiale. Et le fait est que la Féerie avait bien besoin d’un peu plus d’équité.

Mistral s’agenouilla devant moi, tellement grand qu’il m’empêchait de voir le bureau. L’épée n’était pas le seul objet qui s’y trouvait. La lance y était également posée. Elle n’était plus ce pieu scintillant d’une blancheur argentée, mais semblait à présent faite de bois clair, comme gravé de signes runiques et d’autres caractères calligraphiques si archaïques que je ne parvenais pas à tout déchiffrer. Je me demandai si Mistral en serait capable, mais sans me sentir suffisamment concernée pour lui poser la question. D’autres choses me semblaient bien plus importantes.

— Pourquoi l’épée ne s’est-elle pas présentée à mon père ? Il détenait la Main de Chair.

— Il possédait aussi la Main de Feu, dit Doyle derrière nous.

— Et je détiens la Main de Sang, lui répondis-je sans même tourner les yeux dans sa direction. Qu’est-ce que l’une a à voir avec l’autre ? Aben-dul est destinée à tous ceux détenant la Main de Chair. Pourquoi moi, et pas mon père ?

— Les reliques de pouvoir ne commençaient pas à réapparaître du vivant du Prince Essus, m’expliqua-t-il.

— Au fait, as-tu réussi à contacter Rhys ? s’enquit Mistral.

— Oui.

Doyle, après s’être installé à ma droite, me prit la main, cette main qui m’avait permis de toucher une épée qui, faute d’une magie adaptée, m’aurait retournée les tripes à l’air, et je serais morte.

Il déposa un baiser au creux de ma paume, que je tentai d’écarter, mais il me retint.

— Tu détiens un immense pouvoir, Meredith. Il ne contient rien de mauvais ni de malfaisant.

Je tirai plus fort pour extirper ma main de sa poigne et il finit par me lâcher, à regret.

— Je sais qu’un pouvoir magique n’est pas malfaisant en soi, mais du fait de ses accomplissements, Doyle. Tu as remarqué ce qu’il provoque. C’est le plus horrible que j’aie jamais vu !

— Le Prince ne t’en avait pas fait la démonstration ? demanda Mistral.

— J’ai observé l’ennemi que la Reine gardait dans sa chambre au fond d’une malle. Je sais que c’était mon père qui l’avait transformé en cette… boule de chair à vif bien vivante.

— Le Prince Essus désapprouvait ce que la Reine avait choisi de faire avec… ça, dit Doyle.

— Pas « ça », réagit Sholto. Avec « lui ». Si ce n’était pas « lui », crois-tu qu’elle l’aurait fait sortir de sa malle ?

Nous avons tous tourné les yeux vers lui. Quant à Mistral, il semblait loin d’être réjoui.

— Nous sommes en train d’essayer de lui remonter le moral, au lieu de la faire se sentir plus déprimée encore.

— La Reine était très fière de montrer à Meredith combien elle pouvait être terrible.

— Il a raison, dis-je en hochant la tête. J’ai vu le… ce qui restait du prisonnier. Je l’ai vu dans son lit et elle m’a ordonné de le remettre dans sa boîte.

— Je l’ignorais, dit Doyle.

— Tout comme moi, renchérit Mistral.

— Pensais-tu vraiment que la Reine épargnerait quoi que ce soit à la Princesse ?

— Andais lui a épargné les humiliations plus horribles auxquelles elle nous a soumis, dit Mistral, étant donné que Meredith ne l’avait encore jamais vue nous torturer comme elle le fit la nuit où la Princesse nous a sauvés.

Il me prit la main en m’adressant le regard que j’avais enfin mérité. Un regard empreint de respect, de gratitude et d’espoir. C’étaient les yeux de Mistral cette nuit-là, ce bref coup d’œil qu’il m’avait jeté, qui m’avaient insufflé le courage de mettre ma vie en jeu pour les sauver tous. Ces yeux me disaient clairement que je n’étais qu’un autre membre de la royauté sans utilité. Et j’avais fait de mon mieux pour lui prouver le contraire.

Je me demandai s’il le savait. Cependant, quelque chose me poussa à le lui dire.

— C’est l’expression de ton regard, Mistral, qui m’a fait risquer la mort des mains de la Reine cette nuit là.

— Tu me connaissais à peine, dit-il en haussant les sourcils, perplexe.

— C’est vrai, mais tu me fixais pendant qu’elle s’amusait à faire couler le sang de ses gardes en utilisant certains d’entre eux comme spectateur. Je voyais que tu ne me considérais que comme un autre membre inutile de la monarchie.

— Tu as failli mourir cette nuit-là parce que je t’ai regardée ? dit-il en me dévisageant.

— Je devais te prouver que tu te trompais sur moi, Mistral. Il me fallait tout risquer pour vous sauver, parce que c’était la chose à faire. Ce que je devais faire, par devoir.

Il retenait ma main entre les siennes, quoiqu’elles fussent si grandes comparées aux miennes qu’elles étaient davantage en contact avec sa propre peau. Il me dévisageait toujours, semblant évaluer le poids de mes propos.

— Elle ne ment pas, dit Doyle du côté opposé.

— Ce n’est pas ça. C’est que cela fait si longtemps que je n’ai pas eu affaire à une femme qui se soucie autant de ce que je pense que je ne parviens même pas à me souvenir depuis quand. Qu’elle ait réagi ainsi, après un simple regard… dit-il en scrutant mon visage, les sourcils froncés, avant de demander : Étions-nous depuis toujours destinés à être ensemble ? Est-ce pourquoi un seul regard venant de moi a accompli autant ?

Je ne l’avais pas considéré sous cet angle.

— Je l’ignore. Je ne sais qu’une chose : c’est ce qui s’est passé. Tu m’as obligée à m’impliquer bien plus que je n’en avais l’intention, Seigneur des Tempêtes.

Il sourit alors. Un sourire que tout homme ferait à une femme. Un sourire qui montrait combien il était ravi, et combien mes paroles avaient de valeur pour lui. On aurait tendance à penser que la magie de tous ces hommes ne repose que sur leur étrangeté surnaturelle ou la mienne, mais certains moments les plus précieux sont les plus ordinaires. Des moments que pourraient partager tout homme et toute femme, s’ils s’aimaient sincèrement.

Aimais-je Mistral ? En cet instant, observant à son visage, ses yeux posés sur moi, je n’avais qu’une seule réponse : pas encore.

Les ténèbres dévorantes
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